Polars et intrigues

Les visages écrasés

Le roman noir « Les visages écrasés » de l’écrivain français Marin Ledun a de quoi susciter beaucoup de réflexion sur les dérives du monde du travail. La narration subjective de ce thriller social relate la lente descente en enfer d’un médecin du travail, Carole Matthieu, confrontée à la souffrance et à la pression que subissent les employés d’une entreprise de téléphonie.

Récit d’un cauchemar professionnel

Dès le départ de l’intrigue, on connaît l’assassin qui appuie sur la détente de l’arme. Il s’agit de la narratrice, médecin du travail, qui pense faire son devoir en « soignant » un employé désespéré avec le « traitement adéquat ». Les raisons de son acte qu’elle désigne comme « acte médical » seront expliquées par la suite.

Après la découverte du corps sans vie de l’employé de la plateforme de téléphonie se succèdent pour Carole des pourparlers avec la direction et les membres du syndicat, des enquêtes policières, ainsi que des entretiens privés et médicaux avec plusieurs employés en souffrance. Le récit est entrecoupé de rapports que s’échangent divers acteurs, tels des médecins, psychiatres et inspecteurs du travail.

Le problème, ce sont ces fichues règles de travail qui changent toutes les semaines. La tension constante suscitée par l’affichage des résultats de chaque salarié, les coups d’œil en biais, le doute permanent. L’infantilisation, les avertissements comme punition, les objectifs inatteignables. Les larmes qui coulent pendant des heures, quand on se retrouve seuls. Les injonctions paradoxales, la folie des chiffres, le flicage, la confiance perdue. La peur et l’absence de mots pour la dire.

Quatrième de couverture de « Les visages écrasés » de Marin Ledun

Avant de se dénoncer, Carole aimerait qu’éclate la lumière sur les conditions de tension constante dans lesquelles travaillent les employés de la plateforme. Elle espère que cela puisse donner un sens au meurtre de sa victime.

En mettant fin à ses jours d’une façon aussi violente, je rends visible aux yeux de tous le processus. Je hurle en même temps sa souffrance, sa vie d’homme et le système qui y a mis fin. […] je l’institue en victime […] Je le ressuscite.

Extrait du roman « Les visages écrasés » de Marin Ledun

La santé physique et mentale de Carole se détériore au fil des jours. Réceptacle du mal-être professionnel des employés qu’elle soigne et donc véritable éponge de l’ambiance malsaine qui règne au sein de l’entreprise, elle s’enfonce elle-même dans une souffrance psychologique qu’elle gère avec des anxiolytiques et de l’alcool.

Comment raconter le harcèlement moral

Le harcèlement moral se raconte difficilement. Il s’agit souvent de faits d’humiliation répétitifs qui semblent anodins lorsqu’ils sont pris isolément. Pourtant, ces faits et la pression qu’ils engendrent au quotidien finissent par miner la santé et la confiance en soi de l’employé harcelé.

Force est de constater que Marin Ledun a réussi à recréer le malaise de ces situations de souffrance professionnelle, génératrices de terribles dégâts psychiques. Comme il le confie dans une interview sur Libération ICI, il a lui-même été victime de traumatismes similaires lorsqu’il travaillait chez France Télécom en tant que sociologue.

« Les visages écrasés » est une intrigue sociale très noire basée sur des faits réels, mais qui reste bienfaisante pour les lecteurs, car elle permet de mettre des mots sur des situations difficiles à expliquer et à raconter. Ce récit dénonce aussi l’indifférence qui prévaut au travail vis-à-vis du mal-être ambiant et qui peut conduire à des situations extrêmes.

Succès du roman « Les visages écrasés »

« Les visages écrasés », roman publié en 2011 aux éditions du Seuil, a reçu de nombreux prix, dont le Grand Prix du roman noir du Festival International du film policier de Beaune en 2012.

Il a par ailleurs été adapté au cinéma sous le titre de « Carole Matthieu » par le réalisateur Louis-Julien Petit avec Isabelle Adjani.

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