Céline Dominik-Wicker "Réveille-toi, ma belle Ondine!"
Différence physique, sociale ou culturelle,  RENCONTRES et/ou INTERVIEWS

Rencontre avec l’auteure d’un conte militant pour une société inclusive

« Réveille-toi, ma belle Ondine! »

Il était une fois une auteure talentueuse, Céline Dominik-Wicker, qui usait de sa plume pour militer en faveur d’une société inclusive dans laquelle les personnes avec un fonctionnement neurologique « différent de la norme » trouveraient également leur place.

Après un recueil de nouvelles intitulé « Aux frontières de la norme », l’auteure française nous revient avec un conte « Réveille-toi, ma belle Ondine ! » publié en janvier 2021 aux éditions Lacoursière.

L’histoire relate les péripéties de Tom, jeune lutin rose en visite sur la Terre. Curieux et inexpérimenté, le lutin se laisse entraîner malgré lui dans une aventure déroutante, où il fait la connaissance de Coraline, une jeune fille très, trop seule…

Interview de l’auteure

J’ai eu le plaisir d’interviewer Céline Dominik-Wicker et la remercie d’avoir répondu aux questions suivantes.

  1. Dans ce conte enchanteur, vous évoquez la triste réalité de l’isolement forcé d’une jeune fille qui ne parvient plus à communiquer avec son entourage. Vous dénoncez une sorte d’incompréhension, voire de maltraitance involontaire du corps soignant de l’institution dans laquelle elle est enfermée. Pouvez-vous nous expliquer la raison du message sous-jacent que l’on devine derrière ce conte et les solutions qui pourraient prévenir de tels actes ?

Réveille-toi, ma belle Ondine nous parle effectivement d’une jeune fille handicapée, non verbale, enfermée contre son gré dans une institution psychanalytique obsolète et maltraitante. Cette partie de l’histoire s’inspire d’une réalité encore très prégnante en France et régulièrement dénoncée par des lanceurs d’alerte, des familles, des associations et même par l’ONU. Beaucoup trop d’autistes sont encore dissimulés aujourd’hui loin des regards dans des institutions qui n’ont pas pour vocation à les rendre autonomes. Tant que nous serons régis par un paradigme, faussement bienveillant (on les enferme pour leur bien, n’est-ce pas ?), fondé sur une pensée freudienne et lacanienne, la situation n’évoluera pas malheureusement. C’est pour cela que j’ai tenté de faire comprendre à mon lecteur ce qui se passe dans la tête de mon héroïne et j’espère qu’il/elle ressentira toute cette colère à l’encontre de personnes qui l’étiquettent sans jamais chercher à la comprendre. Ces dernières se servent d’elle (et des autres « patients ») pour justifier leur propre rôle au sein d’une société ségrégative. On enferme les autistes parce que l’on ne sait pas quoi en faire et parce que l’on ne veut pas faire l’effort de développer les méthodes (et il y en a) qui permettraient de les aider. On les enferme parce que la Différence fait peur.

Photographie copyright Nathalie Cailteux

  1. Lorsque le lutin rose revient dans son monde, il s’entretient avec une divinité qui lui dit que « pour comprendre un système, il faut s’en extraire ». Est-ce que cela signifie pour vous que les gens devraient modifier leur regard sur la société, très souvent influencé par les règles qui la régissent, pour en saisir les comportements qui font du tort à autrui ?

Oui, tout à fait. Cela me paraît impossible de comprendre comment fonctionne une boîte de vitesse si l’on reste à l’état d’engrenage. « L’engrenage » ne voit que ce qui se passe autour de lui, il n’a pas une image précise de l’ensemble. De même, je pense qu’il nous faut voir les choses avec distance pour pouvoir avoir une chance de les appréhender.

Photographie copyright Nathalie Cailteux
  1. Ce conte s’adresse à la jeunesse, tout en comportant un message critique envers le monde actuel des adultes. Je ressens que malgré cette critique, vous avez foi en un avenir qui accueillera les personnes différentes avec plus de bienveillance et d’empathie. Pouvez-vous nous parler d’éventuelles expériences qui vous poussent à croire en un avenir plus tolérant ?

J’aime l’humour de Jonathan Swift, Voltaire, et, plus proche de nous, Terry Pratchett, Neil Gaiman et Albert Dupontel. C’est un humour qui fait grincer des dents et le monde en a besoin. À la manière d’une personne cynique qui se moque des fictions que l’Homme se fabrique pour rendre la réalité plus supportable, j’utilise beaucoup l’absurde pour faire rire (j’espère) et pour souligner l’organisation ubuesque des systèmes qui sous-tendent notre société. Les humains ne sont finalement pas très logiques dans leur fonctionnement et si l’on souhaite changer nos incohérences, surtout quand celles-ci sont délétères, il faut déjà s’en rendre compte. Cela ne veut pas dire pour autant que je suis pessimiste. Selon moi, un cynique est un humaniste car sinon, pourquoi s’embêterait-il à déployer autant d’efforts à pointer du doigt nos erreurs ? Ce ne sont donc pas tant des expériences personnelles (même s’il y en a) que mon tempérament qui me pousse à croire en un avenir plus tolérant.

Photographie copyright Nathalie Cailteux
  1. Vous m’avez présenté ce conte comme le plus militant de vos écrits. Dans quel sens est-il plus militant que les autres ?

Étymologiquement, le mot « militant » renvoie à la lutte, au combat. Je pense qu’à sa manière, mon héroïne lutte de toutes ses forces contre ceux qu’elle considère comme des geôliers qui lui imposent des traitements contre son gré. Elle n’est libre de rien, elle n’a plus de droits. Tout est décidé pour elle et personne ne cherche à savoir si elle a un seulement un avis à ce sujet. Comment vous sentiriez-vous à sa place ? N’auriez-vous pas envie de hurler, de frapper, de mordre la moindre main qui s’approche de vous ?

Ce livre est le plus militant que j’ai écrit jusqu’alors car, au travers de ma description de l’enfermement physique et psychologique, j’espère susciter la compassion de mes lecteurs. Ce n’est que parce que l’on ressent de la compassion pour la victime (on « souffre avec elle ») que l’on peut avoir envie de se battre à ses côtés. J’aimerais ainsi transmettre mon militantisme afin que tous se sentent concernés par l’établissement d’une société plus inclusive.

Photographie copyright Nathalie Cailteux
  1. Parlez-nous de vos projets d’écriture. Y aura-t-il une suite des aventures de Coraline et de Tom dans le monde de la Faërie ?

Il est tout à fait possible que j’écrive une suite des aventures de Tom et Coraline. Il resterait, en effet, beaucoup de choses à dire. Ce premier roman nous raconte surtout comment Tom découvre et sauve Coraline. Une fois cet exploit accompli, le récit ne peut toucher qu’à sa fin, car aborder ce qui est susceptible de se produire ensuite dans le monde de Faërie aurait posé les prémices d’une autre histoire et cela sera le sujet d’un second roman.

Lorsque les mots du conte nous encouragent à modifier les maux de la société …

Ce conte joliment tourné et illustré (par Wendy Régis) s’adresse aussi bien à la jeunesse qu’aux adultes. Nous lui souhaitons tout le succès qu’il mérite et nous espérons de tout cœur que Céline Dominik-Wicker réussira son pari : éveiller les consciences tout en suscitant l’empathie envers la « différence ».

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