Dérives de la téléréalité domestique
« LES ENFANTS SONT ROIS », le roman passionnant de l’auteure française Delphine de Vigan suscite le débat et la réflexion à l’époque des réseaux sociaux (roman paru en 2021 aux éditions Gallimard).
Que raconte « Les enfants sont rois »?
A travers l’histoire de deux femmes aux destins contraires, Les enfants sont rois explore les dérives d’une époque où l’on ne vit que pour être vu. Des années Loft aux années 2030, marquées par le sacre des réseaux sociaux, Delphine de Vigan offre une plongée glaçante dans un monde où tout s’expose et se vend, jusqu’au bonheur familial.
Quatrième de couverture du roman « Les enfants sont rois » de Delphine de Vigan
Débuts de la téléréalité
Le récit commence par les débuts de la téléréalité en France, lorsque le quotidien de quelques jeunes élu(e)s est filmé dans un loft et retransmis sur le petit écran en guise de divertissement.
Clara et Mélanie, deux protagonistes du récit et jeunes témoins de cette nouvelle expérience télévisuelle, ont pris des chemins de vie très différents.
Succès de la téléréalité domestique sur les réseaux sociaux
Clara est entrée dans la police et enquête sur divers crimes. Hors norme à sa manière, elle est restée célibataire et son physique ressemble à celui d’une enfant. Elle est par ailleurs très pointilleuse en orthographe, ainsi que pour gérer les procédures des enquêtes.
Quant à Mélanie, elle s’est mariée et a eu deux enfants. Experte dans le maniement de tous les codes des réseaux sociaux, elle devient une influenceuse en vogue et poste des vidéos de ses enfants sur YouTube et Instagram. Au vu du nombre de vues de leur téléréalité domestique et des propositions publicitaires conséquentes, Mélanie et son mari focalisent toutes leurs activités sur ce business lucratif.
Un jour cependant, la fillette de la famille disparaît lors d’un jeu de cache-cache dans leur résidence.
La police, dont fait partie Clara, mettra en place tout le dispositif nécessaire pour retrouver la petite fille. Des auditions seront effectuées, ainsi que le visionnage des vidéos postées par Mélanie.
Les années 2030…
La dernière partie est consacrée aux années 2030, lorsque les enfants ont grandi et que certains effets de cette enfance mise à nu sous les projecteurs sont à déplorer.
Il y est aussi question d’un spécialiste qui se consacre aux « pathologies associées au développement des réseaux sociaux, de la réalité virtuelle, de l’intelligence artificielle ».
Parents protecteurs, non détenteurs du droit à l’image de leurs enfants
Dans une interview, Delphine de Vigan dit ne pas vouloir faire le procès des parents qui postent des vidéos de leurs enfants sur les réseaux sociaux. Elle s’interroge seulement sur les conséquences et les raisons profondes de ce besoin : gagner de l’argent ? combler un vide existentiel ?
Par le biais de l’inspectrice Clara, l’auteure soulève cette interrogation et prend la mesure de ce qui se passe sur le net au détriment des jeunes enfants dans une société prônant le consumérisme.
Car les parents ne sont pas les « détenteurs » du droit à l’image de leurs enfants, mais ils en sont les « protecteurs ». Comment alors protéger l’empreinte numérique de ces jeunes enfants en veillant à ne pas abuser du pouvoir parental ?
Ce roman suscite un réel débat qui a donné lieu à plusieurs articles, dont je vous cite celui de la chroniqueuse juridique Yasmine Lamisse sur la Première de la RTBF.
Côté littéraire, une plume de talent
J’avoue, j’ai toujours beaucoup de plaisir à lire les romans de Delphine de Vigan. Abordant différents thèmes d’actualité, elle mélange avec brio les genres. Ici encore, le récit constitue une intrigue à la fois policière, psycho-sociologique et d’anticipation.
Sans compter les quelques sous-entendus visant l’écologie par le biais de petites descriptions qui ponctuent la partie relative aux années 2030, telles que :
[…] qui lui rappelle les jours d’hiver quand elle était petite fille, à l’époque où il neigeait encore […]
[…]En ce jour de mai 2031, alors que l’été a commencé avec six semaines d’avance – les records de chaleur de l’année précédente viennent d’être de nouveau battus – […]
Extraits de « Les enfants sont rois » de Delphine de Vigan
En guise d’épigraphe du roman, voici encore la citation tristement drôle de Stephen King :
***
D’autres romans de Delphine de Vigan ont fait l’objet d’une chronique sur mon blog précédent, comme
« Rien ne s’oppose à la nuit » (thème du deuil)
« Les heures souterraines » (thématique de l’injustice au travail)
Une belle lecture pour finir 2021 en beauté !