"Fille" de Camille Laurens
Différence physique, sociale ou culturelle,  SUJET ET THEMATIQUE

Naître « fille » : tare ou chance ?

Joli coup de cœur pour le roman de Camille Laurens « Fille »,

publié chez Gallimard le 20 août 2020

FILLE, nom féminin

1. Personne de sexe féminin considérée par rapport à son père, à sa mère.
2. Enfant de sexe féminin.
3. (Vieilli.) Femme non mariée.
4. Prostituée.

Laurence Barraqué grandit avec sa sœur dans les années 1960 à Rouen.
« Vous avez des enfants? demande-t-on à son père. – Non, j’ai deux filles », répond-il.
Naître garçon aurait sans doute facilité les choses. Un garçon, c’est toujours mieux qu’une garce. Puis Laurence devient mère dans les années 1990. Être une fille, avoir une fille : comment faire ? Que transmettre ?
L’écriture de Camille Laurens atteint ici une maîtrise exceptionnelle qui restitue les mouvements intimes au sein des mutations sociales et met en lumière l’importance des mots dans la construction d’une vie.

Quatrième de couverture du roman « Fille » de Camille Laurens

La cruelle perception du genre

A travers son récit, Camille Laurens, met en lumière la représentation que l’on se fait du genre féminin depuis les années 60 jusqu’à nos jours.

Les mentalités ont évolué dans le courant du 20e siècle. Pourtant, l’autrice continue de s’interroger, par le biais de sa narratrice, sur la vision de la place de la femme dans la société.

C’est surtout à travers le langage qu’elle perçoit une certaine inertie dans la dynamique de la pensée en faveur de l’égalité homme-femme.

Petites phrases révélatrices

La naissance de la narratrice n’a pas été accueillie sans déception dans la famille. Après une première fille, ses parents, et son père en particulier, attendaient avec impatience la venue d’un garçon. Ce désenchantement se traduit dans les mots échangés, les petites phrases qui se veulent rassurantes…

Il rase les murs pour éviter de recroiser le Dr Galliot mais tombe sur lui à l’entrée du parking. « Alors ? – C’est une fille. – Ah ! C’est bien aussi. »

Extrait de « Fille » de Camille Laurens

Vocabulaire non neutre

Avec la voix de sa narratrice, Camille Laurens nous explique que le masculin l’emporte toujours sur le féminin, ou qu’en se féminisant, certains mots acquièrent un caractère répréhensible et dévalorisant…

Garce. Le mot revient et la hante. C’est une injure. Mais n’est-ce pas d’abord le féminin de garçon ? Tout ce qui est féminin déçoit, déchoit, elle le sait désormais. Garçon, c’est un constat. Garce, c’est un jugement. Le mot, en changeant de genre, devient mauvais.

Extrait de « Fille » de Camille Laurens

Le doigt pointé sur ces « travers » de la langue est éclairant et démontre la dévalorisation constante de la femme dans les mentalités.

On ne dit jamais ça, une fille manquée, vous avez remarqué ? C’est parce que aucun garçon ou presque ne rêve d’être une fille, alors que l’inverse…

Extrait de « Fille » de Camille Laurens

Egalité homme-femme ou égalité femme-homme

Par sa plume un rien amère, Camille Laurens réussit avec brio à expliquer que l’égalité homme-femme – ou « égalité femme-homme » si l’on veut sortir des automatismes linguistiques – ne sera pas totalement acquise tant que subsisteront dans le langage des expressions qui prouveront le contraire.

Mais parviendra-t-on un jour à cette égalité ?

Equité vs équivalence

L’égalité doit impliquer un traitement de valeur équitable pour les deux genres. Une femme ne vaut pas moins qu’un homme et vice versa. Les deux ont droit aux mêmes faveurs.

Mais l’égalité ne signifie pas équivalence. Les différences respectives sont à considérer comme des atouts particuliers, de valeur égale. Les hiérarchiser revient à créer l’inégalité.

La « fille » de la narratrice apporte toutefois une note positive en fin de roman, s’émerveillant d’être une femme. Elle ouvre ainsi à sa mère – et à nous, lectrices – une voie de réflexion positive et lumineuse sur le sujet.

Egalité homme femme - photo copyright Nathalie Cailteux

Question du féminisme

L’autrice nous parle dans l’interview ci-dessous de son roman et nous met en garde sur le fait que tout n’est pas encore gagné dans l’émancipation de la condition féminine.

Une belle lecture sur la condition féminine

La lecture de ce roman m’a particulièrement plu, parce qu’il exploite le thème de la condition féminine à travers une intéressante analyse de la linguistique.

N’ayant personnellement pas souffert dans la sphère privée d’une dévalorisation du genre féminin, je ne partage pas toutes les émotions de la narratrice. Par contre, il existe encore beaucoup d’inégalités sur le plan professionnel ou dans certains contextes sociaux où les remarques sexistes restent une denrée habituelle.

De ce point de vue, j’imagine que ce livre trouvera certainement un écho chez beaucoup de lectrices, leur procurant ainsi une reconnaissance bienfaisante.

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