Haruki Murakami - Kafka sur le rivage
Roman initiatique

Roman initiatique aux multiples visages

Visage occidental ? Visage oriental ? Le roman « Kafka sur le rivage » de l’écrivain japonais Haruki Murakami paru en 2002 au Japon a conquis les lecteurs. Il s’est d’ailleurs vu décerner le Prix World Fantasy du meilleur roman en 2006.

Imprégné à la fois de culture japonaise et de pensée occidentale, ce best-seller international peut être compris de diverses façons. L’auteur lui-même conseille à ses lecteurs de le lire plusieurs fois pour y déceler l’interprétation qui lui convient le mieux.

En qualité de roman initiatique, « Kafka sur le rivage » guide ses protagonistes, et donc ses lecteurs, vers l’apprentissage de soi dans ses interactions avec le monde.

Que raconte « Kafka sur le rivage » ?

Deux histoires sont relatées en parallèle :

  • celle d’un adolescent, Kafka Tamura, qui fuit son foyer familial à Tokyo pour échapper à une malédiction œdipienne et
  • celle d’un vieil homme simple d’esprit, Nakata, qui sait communiquer et parler avec les chats

L’un et l’autre s’enfuient à la recherche d’une chose essentielle, mais difficile à cerner : retrouver le passé et/ou le destin ? se retrouver soi-même ? Au fil de leur pérégrination, ils font la rencontre de personnages bienveillants qui les aident dans leur quête respective. Cette dernière aboutira pour l’un et l’autre au sein d’une bibliothèque sur l’île de Shikoku.

Nous perdons tous sans cesse des choses qui nous sont précieuses […] Des occasions précieuses, des possibilités, des sentiments qu’on ne pourra pas retrouver. C’est cela aussi vivre. Mais à l’intérieur de notre esprit – je crois que c’est à l’intérieur de notre esprit -, il y a une petite pièce dans laquelle nous stockons le souvenir de toutes ces occasions perdues. Une pièce avec des rayonnages, comme dans cette bibliothèque, j’imagine. Et il faut que nous fabriquions un index, avec des cartes de références, pour connaitre précisément ce qu’il y a dans nos coeurs. Il faut aussi balayer cette pièce, l’aérer, changer l’eau des fleurs. En d’autres termes, tu devras vivre dans ta propre bibliothèque.

Extrait de « Kafka sur le rivage » de Haruki Murakami

Roman multiple

Il existe une pléthore d’analyses et d’études concernant ce chef d’œuvre littéraire éclectique. Je vais tenter de vous faire ici une petite synthèse des éléments récurrents.

Comparable à une fable, ce récit se compose à la fois d’ingrédients très réalistes (description de la gestuelle des personnages) et d’événements paranormaux (ex. : une pluie de poissons ou de sangsues qui s’abat sur Tokyo, les conversations entre Nakata et les chats). Certains faits surnaturels datant de la guerre mondiale sont également relatés avec une incidence sur l’un des personnages.

La métaphore

Dans son essai, Anne-Sophie Trottier évoque la philosophie de la métaphore qui se dégage de l’œuvre de Murakami.

L’usage de la métaphore […] devient, pour les personnages, une manière de franchir la limite séparant le territoire du rêve et celui du réel, de lever le voile sur les illusions trompeuses issues du monde factuel.

Le vrai par le faux : la métaphore du réel dans Kafka sur le rivage d’Haruki Murakami
Par Anne-Sophie Trottier — Mensonge et littérature

.

L’ironie et le mythe

Les références à la mythologie antique ne manquent pas non plus dans cette épopée nippone, à commencer par l’allusion au mythe d’Œdipe. Par ailleurs, la structure de ce roman d’apprentissage suit celle de la tragédie grecque : place prépondérante du destin et nombreuses coïncidences extraordinaires. Toutefois, celles-ci sont guidées par un hasard déterministe que Murakami appelle l’ironie.

 Ce ne sont pas les humains qui choisissent leur destin, mais le destin qui choisit les humains. Voilà la vision du monde essentielle de la tragédie grecque. Et la tragédie – d’après Aristote – prend sa source, ironiquement, non pas dans les défauts, mais dans les vertus des personnages. Tu comprends ce que je veux dire ? Ce ne sont pas leurs défauts, mais leurs vertus qui entraînent les humains vers les plus grandes tragédies. Œdipe roi, de Sophocle, en est un remarquable exemple. Ce ne sont pas sa paresse ou sa stupidité qui le mènent à la catastrophe mais son courage et son honnêteté. Il naît de ce genre de situation une ironie inévitable.

« Kafka sur le rivage » de Haruki Murakami

Réalisme magique

D’autre part, le monde onirique dans lequel progresse Nakata se rapproche du réalisme magique que l’on retrouve dans la littérature latino-américaine. Cette magie du réel est empreinte de poésie, de métaphores et de symboles.

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, ces événements magiques n’empiètent pas sur le déroulement de la narration. Ils lui confèrent au contraire une dimension onirique qui ouvre le champ des possibles à la compréhension du texte.

Allusions à la création artistique internationale

Parmi les nombreuses références aux auteurs et musiciens internationaux, on retient bien sûr celle de Kafka qui apparaît dans le titre du roman. L’écrivain tchèque Franz Kafka serait l’un des auteurs préférés de Haruki Murakami et son roman « La métamorphose » fait écho au chemin de transformation que suivent les protagonistes du récit de Murakami.

« Kafka » signifie « le corbeau » en tchèque, ce qui rappelle les conversations de Kafka Tamura avec son double/moi appelé « le corbeau » dans le récit.

Mélange de culture japonaise et de pensée occidentale

Comme nous le précise JPDepotte dans sa vidéo sur YouTube (que vous trouverez ci-après), il ne faut pas lire ce roman dans un esprit strictement cartésien et occidental. Non, car l’univers de Murakami est également imprégné de la culture japonaise qui s’inspire des ingrédients du Shintô (religion animiste) et du bouddhisme (fusion des êtres et du monde par delà l’espace et le temps).

Le génie de Haruki Murakami est d’avoir « jeté des ponts » entre la pensée occidentale et la culture japonaise, ce qui fait de son roman une œuvre plurielle magistrale et un best-seller international.

Kafka sur le rivage, roman bienfaisant

Qui dit roman d’apprentissage, dit roman qui aide à comprendre et à grandir.

Le lecteur est invité à transformer sa pensée au gré des aventures des protagonistes du récit. La lecture est agréable, le réalisme magique de l’auteur ne manque pas de charme et d’originalité. Chacun essaie de trouver un sens à cette histoire qui prend sa source dans la réalité, mais évolue dans l’intériorité des personnages.

Le talent de Haruki Murakami est de nous offrir cette liberté d’interprétation qui constitue également un gage de bienfaisance dans la littérature.

N.B. « Kafka sur le rivage » est le second roman que j’ai lu de cet auteur prolifique. Vous trouverez ICI ma chronique sur « Le meurtre du commandeur« , un roman de Haruki Murakami également très apprécié.

Bonne lecture !

Un commentaire

Laisser un commentaire